Émettre une critique ou un reproche n’est pas chose aisée.
Rapidement, on peut vexer, froisser, et parvenir à l’effet inverse de celui que l’on recherchait. Dans la sidra de cettesemaine, Yossef nous montre le chemin d’une critique positive et élégante…
Cette semaine, nous lirons la sidra de Vayigach, certainement la paracha la plus émouvante des cinq livres de la Torah. Yossef, en effet, et comme nous l’avons rapporté la semaine dernière, avait été vendu par ses frères, et par une Providence très particulière, est devenu vice-roi d’Égypte.
Après des années, par une nouvelle circonstance singulière, les frères de Yossef sont amenés à rencontrer celui qu’ils pensent être l’homme le plus puissant de l’État après Pharaon, et qui n’est autre que leur frère.
Quand Yossef voit le petit Binyamin, ainsi que tous ses autres frères, il ne peut se contenir. Il demande à l’assistance présente de bien vouloir sortir et, ne pouvant plus longtemps retenir son émotion, il s’exclame : « C’est moi, Yossef. Mon père est-il encore en vie ? » (cf. Genèse 45 ; 3)
Devant cette révélation, par laquelle Yossef fait connaître à ses frères sa véritable identité, ces deniers restent muets, sous le choc de la surprise. Le Midrach, curieusement, commente ce verset par ces mots célèbres : «Oï lanou miyom hadin, oï lanou mi yom hato‘ha’ha », ce qui signifie : «Maudit soit le jour du jugement, maudit soit le jour de la réprimande ! » (Béréchith Raba 93 ; 11).
Mais une question se pose, que tous les commentateurs soulèvent: Yossef ne leur a fait aucune réprimande. Il leur a juste révélé son identité et leur a posé la question de savoir si son père vivait encore. Yossef ne leur a parlé ni du terrible épisode où ses frères l’ont jeté dans un puits, cherchant à le tuer, ni du moment où ils l’ont finalement vendu comme esclave.
Pourquoi le Midrach parle-t-il donc de réprimande ? C’est sans doute qu’il existe bien un reproche dans les mots de Yossef. Mais dans la mesure où nous ne possédons plus la même délicatesse que Yossef pour exprimer nos reproches, nous ne percevons même pas la critique dans la remarque de Yossef.
Et c’est une autre question qui va nous prouver que Yossef avait bien l’intention de suggérer à ses frères leur erreur. Yossef venait juste de demander à ses frères si leur père était en vie. Quelle raison a-t-il donc de reposer encore une fois la même question, alors qu’il vient de recevoir une réponse positive de la bouche de ses frères (Genèse 43 ; 28) ? La douleur du père Nos Sages d’expliquer que dans sa question, Yossef leur dit la chose suivante: « Vous me demandez de relâcher Binyamin.
Et quelle raison avancez-vous ? Vous prétendez que si Binyamin ne retourne pas chez notre père Yaacov, ce dernier pourrait en mourir. Pourtant, je suis Yossef, celui qui était chéri et choyé par son père et pourtant, malgré cette douleur, notre père est resté en vie. Si vous vous préoccupez véritablement de la douleur de notre père, de son déchirement s’il venait à perdre un enfant qu’il aime particulièrement, peut-être devriez-vous réfléchir à vos actes passés, à votre histoire personnelle.
Car dans le passé, vous avez agit contre moi, le fils que votre père aimait tant. Et malgré le fait que vous m’ayez vendu et jeté dans ce puits, faisant croire à mon père que j’étais mort, Yaakov est resté vivant. » Ainsi, avec élégance, Yossef renvoie ses frères à leur passé douloureux, les mettant face à leur erreur.
De fait, explique le Maharal de Prague, le mot reproche en hébreu a pour racine o’ha’ha : une démonstration, un témoignage objectif. Il faut donc comprendre que faire un reproche, ce n’est pas tant de faire réagir son interlocuteur par des paroles brutales, mais c’est lui faire prendre conscience de ce qu’il a pu faire de mal. Car au plus profond de lui, l’homme ne veut pas faire le mal pour le mal.
Ce qui provoque la faute, ou la violence envers les autres, c’est uniquement le fait de trébucher, de se tromper, de confondre le Bien pour le Mal, et le Mal pour le Bien. Que ce soit envers un enfant ou un adulte, lui faire prendre conscience de ses erreurs représente déjà un reproche. Cette critique éveille en lui un sentiment désagréable, il ressent de la honte pour ses actes passés.
Le Talmud (Bera’hoth 12b) explique que dans le Ciel, dès qu’une personne ressent de la honte pour une faute commise, on la lui pardonne. Les mots justes Yossef, immédiatement après la révélation de son identité qui, comme on l’a compris, est une critique élégamment suggérée, leur dit : « Je suis votre frère. Ne soyez pas affligés. Ce n’est pas vous qui m’avez fait descendre en Égypte mais c’est D.ieu qui en décida ainsi afin que je devienne souverain dans ce pays et de tous nous sauver de la famine. » (Genèse 45 ; 5-8)
Que par ces paroles, nous puissions toujours aimer notre prochain, et savoir que lorsqu’on veut faire part de ses sentiments et de ses sensations, de ses critiques et de ses reproches, il faut le faire avec élégance. Que ce soit avec un enfant ou avec un adulte, émettre une critique constructive, ce n’est pas dire des mots durs mais dire des mots justes, faire prendre conscience à l’autre que ce qu’il fait n’est pas bon. Et il suffit bien souvent de lui faire entrevoir l’image de ses actes pour obtenir le meilleur résultat.